mercredi 10 octobre 2012

Le goût du pain


Avez-vous remarqué comme le pain, le plus souvent, n’a goût de rien ? “Bien cuit“ ou “pas trop cuit“ n’y change rien. Et quand, par hasard, un boulanger sait encore, ou veut bien, retrouver et offrir le goût et l’arôme perdu du blé, du froment d’antan, c’est, dans la bouche, une explosion de bonheur. Et le lait ! De quoi est donc fait ce lait de supermarché qui a goût de flotte ? Qui me fera retrouver le parfum du lait tiède que Tante Amélie me faisait boire, enfant, dans l’étable, juste sorti du pis de la vache ? Et la viande ? Qui connaît encore le sauvage fumet de la viande fraîche ? Et ces pommes d’étal, belles, roses et brillantes, mais qui n’excitent aucune papille, ou qui sentent la chimie ?  Où sont les pommes des champs bretons de mon enfance qu’en courant l’on croquait jusqu’au trognon ? Elles étaient biscornues peut-être, et donc invendables aujourd’hui, mais elles étaient des fruits. 
D’où vient cette perte du sens de la sapidité des aliments chez la majorité de nos contemporains ? S’agit-il d’une infirmité apparue au niveau des papilles gustatives et de leurs nerfs ? Et si ce n’était plutôt qu’affaire de paresse mentale ? Car le sens du goût mobilise aussi et surtout le cerveau. Il faut “l’écouter“, ce goût, le reconnaître, puis le mémoriser. Rude effort auquel bien peu veulent encore s’astreindre. Alors la faculté s’en atrophie, que l’on remplace par des ersatz, l’aspect, le toucher, la joliesse.
Or cette pauvreté contemporaine ne se cantonne pas à la perte du sens du goût. Elle est tristement générale. On ne veut voir en toute chose que l’apparence, le contact, le dehors. La culture matérialiste, positiviste répandue par une génération de paresseux de la tête a œuvré à tuer toute velléité de connaître l’intangible, l’impalpable, l’immatériel. Qui sait regarder dans une montagne, au-delà de sa masse, la poussière des particules infimes, insaisissables, dont elle est en réalité constituée ? Qui sait voir dans un diamant, au-delà de sa brillance, les milliards d’années de cristallisation du carbone qu’il garde en mémoire ? Qui sait comprendre dans un être humain, au-delà de son physique, la profondeur vertigineuse de sa réalité spirituelle ?
Qui sait, au-delà du “bien cuit“, goûter le pain ?

Aucun commentaire: