dimanche 15 avril 2018

Euthanasie

Parle-t-on de ce sujet de la même manière quand on a trente ans ou quand on en a quatre-vingt-dix ? Plus proche du second terme que du premier, puis-je me permettre de verser mon avis aux débats ?
Parle-t-on encore de ce sujet de la même manière s'agissant de soi, ou s'agissant d'un autre ? À trente ans, on ne pense guère, en la matière, à sa propre mort, mais à celle des autres. À mon âge, c'est certes aussi aux autres que je pense, aux êtres chers qui m'entourent encore, mais je ne saurais m'empêcher de voir venir l'instant où je serai peut-être à mon tour la victime du choix dramatique qui s'imposera.
Parle-t-on enfin de ce sujet de la même manière s'agissant d'une personne à l'agonie de laquelle on assiste, impuissant, ou de quelqu'un qui se meurt quelque part, hors de vue ? Autrement dit, quelle est la part du ressenti personnel dans le discours sur l'euthanasie ?
Mais, pourquoi ce choix : faire mourir, ou laisser mourir ? Car, c'est de cela dont il s'agit : faut-il, ou ne faut-il pas, cesser le maintien en vie artificielle d'une personne qu'on ne sait soigner, qui souffre pour mourir, et dont on ne sait plus apaiser les souffrances ? Pourquoi cela ? Parce que la science a appris aux hommes, non pas à créer la vie, mais à empêcher la mort. La question de morale qui se pose, d'éthique dit-on maintenant, est la conséquence de ce savoir nouveau qui engendre des problèmes nouveaux. 
J'ai comme maître à penser Jésus. Je ne sache pas qu'il y ait dans son enseignement quelque allusion à la douloureuse question de la fin de vie qui nous assaille aujourd'hui. Et pour cause, l'hypothèse d'avoir à la gérer ne s'envisageait pas alors. Non pas que Le Christ, dans sa nature divine, l'ignorât — il était le présent et le futur réunis — mais, il enseignait à des foules qui n'auraient rien compris à la question. L'on mourait, c'est tout. Seul Jésus avait le pouvoir — naturel celui-là ! —d'empêcher la mort. Aujourd'hui, l'Homme a voulu jouer à être Dieu, mais avec les artifices de l'alchimie. Il lui manque la dimension de l'Au-delà. Que dirait Jésus sur le sujet, aujourd'hui, s'il était de nouveau physiquement parmi nous ? Je n'aurai certes pas l'outrecuidance de répondre à sa place. Mais, je peux dire ce que, modestement, j'en pense.
Il faut souffrir pour naître — semble-t-il, car personne ne se souvient de sa vie d'embryon —. Pourquoi faut-il, de même, trop souvent souffrir pour mourir ? Cette souffrance du corps est-elle le prix à payer pour franchir le seuil ? Dans un sens, puis dans l'autre ? Mais, de quel seuil s'agit-il ?
Pour ceux qui s'en tiennent au positivisme scientifique, la vie ne provient que d'assemblage d’atomes de carbone, d’oxygène, d’hydrogène, d’azote, de phosphore et de soufre… Rien d'autre ! Dès lors, pourquoi, en effet, la chimie ferait-elle souffrir des corps qui ne sont eux-mêmes que de la chimie ? Dans cette vision sans horizon, la morale, l'éthique si l'on préfère, est-elle aussi une réaction chimique, "et rien d'autre" ? D'ailleurs, s'inquiète-t-on de l'éthique d'un scarabée ou d'un rhododendron qui, eux aussi, sont "carbone, azote, phosphore, etc., et rien d'autre ? Allons ! S'agissant de l'être humain, il semble bien que ce ne soit pas de "rien d'autre" qu'il faille parler, mais bien de quelque chose d'autre.
Pour ceux dont le regard porte un peu plus loin que ce matérialisme borné, l'assemblage des atomes en question qui se réalise lors de la reproduction sexuée des cellules parentes est en réalité la fusion de nuages de particules dites quantiques, parce que l'on sait aujourd'hui que celles-ci sont, dans leur infime petitesse, à la limite de l'immatériel. Elles sont, ces particules dont la matière est construite, ici et là à la fois, aujourd'hui et demain en même temps. Elles occupent tout l'espace et le temps. Elles sont vibration. Elles sont pensée, esprit, Esprit ! Et cela change tout !
La vie, dès lors, est évolution sans doute, mais double.
Horizontalement, la cellule biologique qui se duplique par reproduction sexuée permet de conserver les patrimoines génétiques des parents, tout en créant la diversité d'organismes individuels nouveaux. Ainsi chaque être nouveau est différent et unique.
Verticalement, à chaque reproduction sexuée, l'être nouveau ainsi engendré reçoit donc le flux de l'immatérialité des quanta qui dessineront son corps. Il est, nous sommes tous, images de la Pensée, de l'Esprit. Ce n'est pas l'Au-delà qui est image de l'ici-bas, mais l'inverse !
Six siècles avant Jésus-Christ, un prophète le savait déjà :
"…Et Jahweh me dit : 
Avant de te former dans le ventre de ta mère, je t'ai connu,
et avant que tu sortisses de son sein, je t'ai consacré ;
je t'ai établi prophète pour les nations." (Livre de Jérémie 1,5).
Non ! La vie matérielle ne nous appartient pas. Elle nous est remise comme un relais transmis à chaque étape. On la reçoit. On la rend !
Que faire, dès lors, dans cette vision de la spiritualité du vivant, face à la souffrance d'autrui en fin de vie ?
Il faut penser, et penser seulement, au modèle dont chacun de nous est l'image, la traduction matérielle. L'image qui doit s'éteindre doit-elle faire semblant de briller encore ? N'est-ce pas faire insulte à l'Au-delà que de chercher à le contraindre ? Le devoir de l'Homme, ici-bas, est de faire prospérer le relais de vie qui lui a été remis. La lutte contre la maladie et la souffrance est la base de ce devoir. Mais, de même que la vie nous est confiée au départ sans que nous ayons à l'accepter, elle nous est retirée à l'arrivée sans que nous ayons à nous y opposer. Quand l'heure a sonné, quand le savoir des hommes est au bout de sa course, quand le médecin sait en son âme et conscience qu'il ne peut plus rien, il faut laisser faire Dieu.