L’histoire retiendra de ces élections françaises de 2012 la démonstration que le processus démocratique du vingtième siècle ne fonctionne plus, est perverti, a vécu.
Il faut se rendre à l’évidence : le pouvoir absolu peut désormais être pris, en toute légalité, par une partie d’un parti, un clan qui ne représente en rien la majorité d’opinion de la nation.
Je dis “une partie d’un parti“ car, si l’on se réfère aux sordides règlements de comptes qui se sont opérés au sein de celui qui l'a emporté, sur fond de querelles domestiques, le moins que l’on puisse dire est que l’unanimité n’y est pas. Si l’on ajoute les multiples oppositions personnelles au candidat, déclarées au cœur même dit parti, les partis d'opposition, et les dix-neuf millions d'abstentionnistes, le score de la majorité nationale en faveur du candidat élu à la fonction présidentielle est loin, très loin d’être atteint.
Ainsi, des clans peuvent désormais se créer qui, pourvu qu’ils aient quelque adresse et beaucoup d’adresses, peuvent manipuler le corps électoral pour donner un instant l’illusion qu’ils représentent la majorité, et prendre le pouvoir. C’est grave.
Pourquoi cette affaire me fait-elle penser à l’Iran ? Ce pays que j’ai eu le bonheur de visiter il y a quelques années est merveilleux, d’une richesse historique et culturelle inouïe. Ses habitants, les Iraniens d’aujourd’hui, descendants des Perses conquérants du monde, sont des gens adorables de gentillesse et de fierté. Or, il y a trente ans, une perversion identique de la démocratie a porté au pouvoir absolu un intégrisme islamique dont les électeurs ne peuvent plus aujourd’hui se libérer.
— Oh ! Direz-vous, l’aventure reste heureusement, chez nous, confinée entre Français. Certes, mais demain ?
Quand le général de Gaulle a institué, il y a cinquante ans, le suffrage universel pour l’élection présidentielle, il a mesuré sa décision à l’aune de sa personne. Le risque de déviance, alors, n’existait pas. Sans doute n’imaginait-il pas que l’environnement géopolitique et technologique allait se bouleverser aussi profondément, qui rendrait le mécanisme électoral inopportun et dangereux. Et que dire de cette autre décision malencontreuse qui a voulu la concomitance des deux élections, celle du pouvoir exécutif et celle du pouvoir législatif ? La plus élémentaire prudence aurait voulu, au contraire, que le temps séparât ces deux échéances, pour gommer l’effet de liesse et donner le temps de la réflexion.
Car, en un demi-siècle, deux mutations profondes ont transformé le monde. La première est l’émergence, ou la réapparition, d’un intégrisme international agressif et guerrier qui menace toutes les démocraties. La seconde est le bond en avant prodigieux des techniques de communication et donc de manipulation des foules qui met ces mêmes démocraties à la merci de toutes les aventures.
Que faire pour conjurer ces dangers considérables et assurer paix et bonheur pour nos enfants ? La vieille litote selon laquelle la démocratie n’est peut-être pas un régime satisfaisant, mais est le moins mauvais n’est plus admissible. On ne peut plus se contenter de cette galipette et vivre en fermant les yeux, comme si le danger n’existait pas.
Certains exhumeront alors le vieux modèle de la royauté par lequel un rempart quasi divin protégeait le bon peuple. On ne refait pas l’avenir avec les oripeaux du passé. En France, nos ancêtres ont coupé la tête de leur roi. Ce n’est peut-être pas ce qu’ils ont fait de plus intelligent. Mais, c’est fait.
Il faut peut-être revenir un instant à l’esprit originel de la république. La république, c’est l’affirmation du peuple comme souverain de sa nation. Mais, le peuple dont il s’agit ne se confond pas avec les citoyens pris isolément. Ce peuple-là est une personne morale nouvelle, née de la mise en commun des intérêts de tous les citoyens, comme l’est une société anonyme, issue de l’assemblée des actionnaires. C’est cette personne morale qui est le souverain, et non pas tels ou tels des citoyens, même regroupés en partis. Une élection n’est pas une joute où celui qui gagne prend le pouvoir pour lui et ses amis. Ce n'est pas le clan qui gouverne. C'est le peuple ! Une candidature doit revenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une offre de service pour accepter la délégation temporaire du pouvoir d’agir, détenu par le peuple, personne morale, et cela avec obligation de résultat.
Dans ces conditions, toute démocratie, en tant que mode de gouvernement, a besoin de se fonder sur le savoir. On n’imagine pas un souverain démuni de toute connaissance, gouvernant dans l’ignorance de son environnement géopolitique, économique et financier, social et humain. Comment orienter l’avenir d’une nation quand on ne sait pas lire le présent ? Pourtant, le peuple souverain est, par le plus grand nombre de ses éléments, totalement dépourvu des compétences indispensables. Il est extraordinaire que, s’agissant de démocratie, personne ne s’inquiète que le pouvoir y soit systématiquement placé en des mains non éclairées. Il est même scandaleux de voir comment l’information audiovisuelle travaille à entretenir cette inculture populaire, sans doute pour d’autres raisons. Ce pouvoir populaire devient, dès lors, un pouvoir fictif, qui ouvre la porte à tous les scandales auxquels on assiste aujourd’hui, de détournement de démocratie.
La démocratie, donc, peut rester un bon système politique, pourvu que le pouvoir soit entre les mains d’un peuple suffisamment cultivé, éclairé, sage. Or, en France, il ne l’est pas. Que faire ? Nous en reparlerons.