vendredi 9 avril 2010

E-Book, le livre sans visage ?

Sous le titreE-Book, le livre sans visage, Le Figaro du 9 avril 2010 publie une sélection du New York Times qui met en relief de façon éclatante le mal de consternant l’Édition.
Il y est d’emblée déploré qu’avec l’avènement du lecteur électronique, “les éditeurs perdent la publicité qu'offre un simple regard sur une couverture papier”. Soit ! Mais la littérature est-elle devenue l’alibi de la publicité ?
On peut lire un peu plus loin : “Un nombre croissant de lecteurs optent pour le Kindle ou d'autres appareils électroniques et, avec également l'arrivée de l'iPad d'Apple, il devient plus compliqué de voir ce que lisent les autres ou d'afficher ses propres goûts littéraires”. Et encore :”On se sent fier de le lire”, déclare Bindu Wiles, qui se rappelle que, quand elle relisait Anna Karénine récemment, elle appréciait que les gens puissent voir la couverture dans le métro. Avec un Kindle ou un Nook, précise-t-elle, “personne ne s'en apercevrait”. Alors, on lit un livre pour que les autres voient ce qu’on lit ?! Je suggère que les éditeurs ou les libraires offrent, avec le livre, un bonnet avec lequel on pourra aisément “afficher ses propres goûts littéraires”
La même angoisse s’exprime chez les libraires : “Quand un client est attiré par la jaquette, c'est déjà un obstacle de franchi. Quand il prend le livre, une bataille décisive a été gagnée.” Mais elle sera plus difficile à remporter si personne ne sait si vous lisez Guerre et Paix ou Captifs du désir”. Le lecteur est définitivement ravalé à la place d’un consommateur de grande surface : c’est l’emballage qui compte !
On comprend maintenant, comment les éditeurs sélectionnent les manuscrits : le titre doit “flasher”, provoquer un peu : le sujet deviné doit faire résonner si possible une certaine actualité ; l’auteur doit être déjà porté par les médias. Le reste est affaire de couleur de couverture, de graphisme. Bref, il faut une couverture que l'on soit "fier d'exhiber dans le métro…" Le texte littéraire ? Bof ! Nul doute que Victor Hugo se serait mieux vendu avec une belle jaquette !
La sagesse voudrait sans doute qu’au vu de cette mutation formidable qu’elle est en train de vivre, l’Édition repense sa fonction et replace ses soucis marketing, certes légitimes, dans des proportions raisonnables au côté de la diffusion littéraire et culturelle. Une chose est de publier pour être vendu, autre chose est de publier pour être lu. Il semble qu’il n’en soit rien : “Certains (éditeurs) s'attendent à ce que les fabricants de lecteurs électroniques ajoutent des fonctions qui permettent aux utilisateurs d'afficher ce qu'ils lisent”. Et pour faire bonne mesure, certains se consolent en imaginant que le livre électronique, parce que discret, ne sera que le support favori des ouvrages érotiques. 
C’est être bien peu clairvoyant. La révolution qui se prépare est un bienfait pour la littérature dont naîtra une nouvelle renaissance. Mesure-t-on le big bang qui s’annonce ? Dans la mondialisation de la culture, déjà dans les faits, chacun pourra désormais, à moindre coût et dans toutes les langues bientôt, feuilleter, rejeter ou lire et conserver le œuvres d’innombrables auteurs du monde entier qui, sans ces moyens seraient restés inconnus. Car il y a au fond des atolls du Pacifique, sur les hauts plateaux andins, ou dans les glaces du Groenland, des gens qui ont aussi quelque chose à dire, que le despotisme du marketing leur interdit d'exprimer. Or, qu’est-ce que lire, sinon entrer dans l’intimité de l’auteur, dialoguer avec lui. Je prévois que cette possibilité sera la prochaine révolution technique. Oh, bien sûr, il faudra éliminer les inévitables adeptes de graffitis d'édicules ; il y aura des logiciels pour cela. Et alors, quelle richesse que lire et écrire. 
Un avenir immense s’offre aux métiers de l’édition en ligne.

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